07/09/2017
Chronique 231
Chronique 231 (7 septembre 2017)
Bordeaux 2017 avant vendange : du ressenti au réel
Mon ressenti de l'été
Juillet et août
La contrainte hydrique ou la cigale et la fourmi
Le réel
Nombre de jours de forte chaleur (température maximale supérieure à 30°) en 2017
Par comparaison, voici le nombre de jours de forte chaleur (température maximale supérieure à 30°)
Août 2005 : 7
Août 2009 : 8
Août 2010 : 6
(données ISVV)
2017 : un millésime injuste et particulièrement hétérogène
Bordeaux 2017 avant vendange : du ressenti au réel
Les vendanges de blancs ont débuté fin août et promettent un bon millésime avec des raisins mûrs, sains, aromatiques, dotés d'une bonne acidité. Merci les nuits fraîches de l'été. Vu le gel d'avril 2017, les volumes s'annoncent minuscules par endroits.
Ces vendanges de blancs précoces alertent aussi sur l'avancée de la maturité des raisins rouges même si celle-ci ne relève pas de la même nature. En ce début de rentrée, alors que beaucoup de directeurs d'exploitation étaient en vacances jusqu'au 4 septembre, d'autres les ont écourtées, avertis par des résultats d'analyse prometteurs et non anticipés. Le réel aurait-il dépassé le ressenti ? Bien dans l'actualité le château L'Evangile à Pomerol a débuté ses vendanges le 4 septembre par ses jeunes vignes. En principe les plus âgées suivent 8 à 10 jours après. Cette précocité interpelle.
Pour partager le sujet, voici quelques éléments comparant le ressenti et la réalité du terrain.
Ces vendanges de blancs précoces alertent aussi sur l'avancée de la maturité des raisins rouges même si celle-ci ne relève pas de la même nature. En ce début de rentrée, alors que beaucoup de directeurs d'exploitation étaient en vacances jusqu'au 4 septembre, d'autres les ont écourtées, avertis par des résultats d'analyse prometteurs et non anticipés. Le réel aurait-il dépassé le ressenti ? Bien dans l'actualité le château L'Evangile à Pomerol a débuté ses vendanges le 4 septembre par ses jeunes vignes. En principe les plus âgées suivent 8 à 10 jours après. Cette précocité interpelle.
Pour partager le sujet, voici quelques éléments comparant le ressenti et la réalité du terrain.
Mon ressenti de l'été
La première bonne surprise se manifeste fin mai : mon laurier fleurit avec un mois d'avance, suivi début juin par mon lilas d'Inde, habituellement en fleurs fin août !
Juin fut magnifique, prometteur, beau, lumineux et chaud. Seule anicroche, l'abondance de pluie tombée entre le 26 et le 30, soit 60 à 112 mm en 2 ou 3 jours. Une pluviométrie excessive, mais inégalement répartie selon les régions (variation sur la totalité du mois de juin de 82,4 mm sur le plateau de St Emilion à 147 mm à Margaux). D'entrée de jeu, le plateau de Saint-Emilion et l'appellation Saint-Julien ont pris un avantage dès juin.
Juin fut magnifique, prometteur, beau, lumineux et chaud. Seule anicroche, l'abondance de pluie tombée entre le 26 et le 30, soit 60 à 112 mm en 2 ou 3 jours. Une pluviométrie excessive, mais inégalement répartie selon les régions (variation sur la totalité du mois de juin de 82,4 mm sur le plateau de St Emilion à 147 mm à Margaux). D'entrée de jeu, le plateau de Saint-Emilion et l'appellation Saint-Julien ont pris un avantage dès juin.
Juillet et août
J'ai passé tout l'été à Bordeaux. Un été moyen devrais-je dire du point de vue d'un vacancier tenté par l'océan tout proche, le bassin d'Arcachon et les pistes cyclables serpentant sous la forêt. Un été où le ciel fut sans cesse moutonneux, bien que rarement gris, jamais dégagé à 100 % sur la journée sauf dans la dernière décade d'août. Or, pour construire un grand millésime, je connais l'importance de la chaleur en juillet ou de la sècheresse.
La contrainte hydrique ou la cigale et la fourmi
La contrainte hydrique aussi nommée stress hydrique est ce stade où la vigne craignant pour la sauvegarde de son espèce se met à penser à l'avenir. Ce dernier passe par ses fruits. Elle cesse de faire la belle, la cigale, qui les délaissait au profit de son look, le feuillage. Ce stade n'advient que si le climat sec, chaud et presque dangereux la contraint à donner l'énergie à la maturité de ses fruits plutôt qu'à ses feuilles, à faire la fourmi tournée vers l'avenir.
Tout juillet, j'ai attendu ces instants qui infèrent dans le vin à venir la présence de la concentration, de la densité, de la profondeur. En vain. De mon point de vue, la venue précoce de cette contrainte était d'autant plus attendue que la fin juin avait été pluvieuse. Mais le ciel ne le voulait pas. Il restait résolument tantôt moutonneux, tantôt éclairci, avec une chaleur contenue. Un manque de franchise embarrassant. Seul point positif : je n'ai jamais pu circuler en voiture sans l'utilisation de la climatisation.
En août bis repetita jusqu'au lundi 21. De mon point de vue, la contrainte hydrique ne s'est installée en Médoc qu'à partir de cette date, soit tardivement, et bien après la véraison, stade où son efficacité semble la plus probante. Dans le même temps, j'étais émerveillé par la qualité des fruits que je goûtais à table. Je me disais que le raisin ne pouvait pas y échapper. Ainsi je considère que 2017 est une année à fruits.
La vigne a poussé longtemps, avec un feuillage plus abondant que de coutume et une couleur très verte. Or, la contrainte hydrique se remarque quand le feuillage proche du raisin jaunit. Où jaunit-il le plus vite actuellement ? Sur les sols chauds de graves plus précoces, comparés à l'argile ou au calcaire, et bien sûr sur le merlot, les autres cépages n'étant pas du tout mûrs à ces dates. Ce visuel concerne en ce moment deux régions : le plateau de Pomerol et Pessac.
Tout juillet, j'ai attendu ces instants qui infèrent dans le vin à venir la présence de la concentration, de la densité, de la profondeur. En vain. De mon point de vue, la venue précoce de cette contrainte était d'autant plus attendue que la fin juin avait été pluvieuse. Mais le ciel ne le voulait pas. Il restait résolument tantôt moutonneux, tantôt éclairci, avec une chaleur contenue. Un manque de franchise embarrassant. Seul point positif : je n'ai jamais pu circuler en voiture sans l'utilisation de la climatisation.
En août bis repetita jusqu'au lundi 21. De mon point de vue, la contrainte hydrique ne s'est installée en Médoc qu'à partir de cette date, soit tardivement, et bien après la véraison, stade où son efficacité semble la plus probante. Dans le même temps, j'étais émerveillé par la qualité des fruits que je goûtais à table. Je me disais que le raisin ne pouvait pas y échapper. Ainsi je considère que 2017 est une année à fruits.
La vigne a poussé longtemps, avec un feuillage plus abondant que de coutume et une couleur très verte. Or, la contrainte hydrique se remarque quand le feuillage proche du raisin jaunit. Où jaunit-il le plus vite actuellement ? Sur les sols chauds de graves plus précoces, comparés à l'argile ou au calcaire, et bien sûr sur le merlot, les autres cépages n'étant pas du tout mûrs à ces dates. Ce visuel concerne en ce moment deux régions : le plateau de Pomerol et Pessac.
Le réel
2017 est un millésime précoce. Or l'histoire de la qualité à Bordeaux signale la précocité comme le dénominateur commun des grandes années.
La floraison précoce fut homogène sur tous les cépages, un fait extrêmement positif. Idem pour la véraison en avance de 8 à 10 jours sur la date moyenne.
Si l'été ne s'est pas manifesté comme celui que j'espérais idéalement, il possède l'avantage d'être resté sec. Or, cette sècheresse est un facteur de contrainte hydrique influent et plus discret que l'abondance de l'ensoleillement. Je signale qu'en juillet, Pomerol n'a reçu que 9 mm d'eau versus 20 à Saint-Emilion, 22 à Margaux, 25 à Pauillac et 32 à Saint-Estèphe. Quant au caractère très vert du feuillage, certains observateurs l'attribuent à l'azote libéré dans le sol lors des pluies de juin.
En août, les merlots que je goûte à Pomerol, en particulier sur les graves, sont délicieux avec une taille de baies moindre qu'à Saint-Emilion, soit 1,2 gr à 1,4 gr par baie. Les analyses de ces raisins impressionnent certains observateurs. Les degrés d'alcool sont élevés, les pH bas, les mesures de densité tannique très importantes (méthode Glories). Quant à la teneur du raisin en acide malique, marqueur de la maturité très apprécié, son taux plutôt bas, 1.2 à 1.4, constitue un réel signal d'alerte sur ce qui se passe et qu'on ne voit pas obligatoirement. Je confirme que les merlots se goûtent bien, en particulier les pépins qui me semblent très croustillants pour l'époque.
La floraison précoce fut homogène sur tous les cépages, un fait extrêmement positif. Idem pour la véraison en avance de 8 à 10 jours sur la date moyenne.
Si l'été ne s'est pas manifesté comme celui que j'espérais idéalement, il possède l'avantage d'être resté sec. Or, cette sècheresse est un facteur de contrainte hydrique influent et plus discret que l'abondance de l'ensoleillement. Je signale qu'en juillet, Pomerol n'a reçu que 9 mm d'eau versus 20 à Saint-Emilion, 22 à Margaux, 25 à Pauillac et 32 à Saint-Estèphe. Quant au caractère très vert du feuillage, certains observateurs l'attribuent à l'azote libéré dans le sol lors des pluies de juin.
En août, les merlots que je goûte à Pomerol, en particulier sur les graves, sont délicieux avec une taille de baies moindre qu'à Saint-Emilion, soit 1,2 gr à 1,4 gr par baie. Les analyses de ces raisins impressionnent certains observateurs. Les degrés d'alcool sont élevés, les pH bas, les mesures de densité tannique très importantes (méthode Glories). Quant à la teneur du raisin en acide malique, marqueur de la maturité très apprécié, son taux plutôt bas, 1.2 à 1.4, constitue un réel signal d'alerte sur ce qui se passe et qu'on ne voit pas obligatoirement. Je confirme que les merlots se goûtent bien, en particulier les pépins qui me semblent très croustillants pour l'époque.
Nombre de jours de forte chaleur (température maximale supérieure à 30°) en 2017
Juin | Juillet | Août | Total | |
Saint-Emilion | 8 | 6 | 11 | 25 |
Pomerol | 12 | 8 | 13 | 33 |
Margaux | 9 | 7 | 9 | 25 |
Saint-Julien | 9 | 5 | 9 | 23 |
Pauillac | 8 | 6 | 9 | 23 |
Saint-Estèphe | 9 | 7 | 8 | 24 |
Pessac | 14 | 8 | 12 | 34 |
Léognan | 11 | 8 | 11 | 30 |
Par comparaison, voici le nombre de jours de forte chaleur (température maximale supérieure à 30°)
Août 2005 : 7
Août 2009 : 8
Août 2010 : 6
(données ISVV)
2017 : un millésime injuste et particulièrement hétérogène
Le gel très sévère des 27 et 28 avril a détruit les vignes de certaines propriétés dans des proportions variant de 0 à 100 %. Comment ne pas se sentir ému lorsque l'on voit certains effectuer des vendanges vertes ou des saignées et d'autres sans récolte ou avec des raisins de seconde génération qui ne seront pas prêts avant fin octobre.
Les zones ayant échappé à cette calamité se situent sur le plateau de Pomerol, celui de Saint-Emilion, à Pessac et dans toute la partie du vignoble médocain proche du fleuve à l'est plutôt qu'à l'ouest. A partir de Margaux, l'estuaire de la Gironde se compose de la Garonne et de la Dordogne. En allant vers le nord il s'élargit et son apport d'air chaud préserve mieux les vignobles qui le jouxtent. Ainsi, le Médoc sud ou ouest a-t-il été plus touché par le gel que le nord et l'est où les propriétés sont plus proches du fleuve.
Ce gel fractionne le vignoble en deux tant matériellement que mentalement. Les crus gelés n'imaginent pas ou très peu que les non gelés profitent de données phénologiques extrêmement favorables. Et ces derniers ignorent la plainte des premiers. Les propriétés gelées fin avril ont tellement communiqué leurs malheurs sur les réseaux sociaux, que bon nombre d'amateurs ont déjà fait une croix sur le millésime 2017. Sur le plan commercial, les marchands bordelais viennent de mettre en marché 2 grands millésimes, 2015 et 2016. L'histoire économique de la région montre qu'il est toujours difficile de vendre 2 grandes années consécutivement avec la même fougue. L'arrivée d'une troisième serait presque mal vue. Cette mécanique pourrait mettre les 2017 réussis en position d'Outsider, c'est-à-dire à un prix plus bas que leur qualité. Je vous en reparlerai quand tous les raisins auront été vendangés. Ni le cabernet franc, ni le cabernet sauvignon ne sont encore prêts. Malgré la précocité de l'année, la probabilité de vendanges longues et étalées demeure très élevée.
Bien cordialement.
Jean-Marc Quarin
Les zones ayant échappé à cette calamité se situent sur le plateau de Pomerol, celui de Saint-Emilion, à Pessac et dans toute la partie du vignoble médocain proche du fleuve à l'est plutôt qu'à l'ouest. A partir de Margaux, l'estuaire de la Gironde se compose de la Garonne et de la Dordogne. En allant vers le nord il s'élargit et son apport d'air chaud préserve mieux les vignobles qui le jouxtent. Ainsi, le Médoc sud ou ouest a-t-il été plus touché par le gel que le nord et l'est où les propriétés sont plus proches du fleuve.
Ce gel fractionne le vignoble en deux tant matériellement que mentalement. Les crus gelés n'imaginent pas ou très peu que les non gelés profitent de données phénologiques extrêmement favorables. Et ces derniers ignorent la plainte des premiers. Les propriétés gelées fin avril ont tellement communiqué leurs malheurs sur les réseaux sociaux, que bon nombre d'amateurs ont déjà fait une croix sur le millésime 2017. Sur le plan commercial, les marchands bordelais viennent de mettre en marché 2 grands millésimes, 2015 et 2016. L'histoire économique de la région montre qu'il est toujours difficile de vendre 2 grandes années consécutivement avec la même fougue. L'arrivée d'une troisième serait presque mal vue. Cette mécanique pourrait mettre les 2017 réussis en position d'Outsider, c'est-à-dire à un prix plus bas que leur qualité. Je vous en reparlerai quand tous les raisins auront été vendangés. Ni le cabernet franc, ni le cabernet sauvignon ne sont encore prêts. Malgré la précocité de l'année, la probabilité de vendanges longues et étalées demeure très élevée.
Bien cordialement.
Jean-Marc Quarin
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© Copyright
Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin Sarl, 10 allée de Ginouilhac, Le Taillan-Médoc. France. - E-mail : jmquarin@quarin.com
Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notations à condition de ne pas les déformer et en citant l'origine de leur source : www.quarin.com ainsi que son auteur : Jean-Marc Quarin (JMQ).
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