12/11/2017
Chronique 235
Dans les coulisses de la préparation du dîner des Outsiders au Shangri-La.
Quand la « désaustérisation » permet de servir des vins jeunes à table
Chronique 235 (12 novembre 2017)
Jean-Marc Quarin
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Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin Sarl, 10 allée de Ginouilhac, Le Taillan-Médoc. France. - E-mail: jmquarin@quarin.com
Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notations à condition de ne pas les déformer et en citant l'origine de leur source : www.quarin.com ainsi que son auteur : Jean-Marc Quarin (JMQ).
Quand la « désaustérisation » permet de servir des vins jeunes à table
Chronique 235 (12 novembre 2017)
Il existe quelque chose de nouveau dans l'évolution du goût des vins de Bordeaux. On devine plus ou moins que le vin n'a jamais été aussi bon depuis le début des années 1960. L'amélioration de la qualité porte sur ce que je nomme la « désaustérisation ». Qu'est-ce à dire ? Comparés aux vins de Bourgogne, ceux de Bordeaux marquent le palais de tannins plus présents et parfois sévères. Voilà l'austérité. Pour la défaire, il faut donner du temps à la bouteille à la condition seulement que cette austérité dans la jeunesse, souvent considérée comme structurelle et indispensable, mais peut-être à tort, soit relativement harmonieuse (voir la méthode de dégustation : la bouche avant le nez). Dans ce cas, je l'appelle austérité positive, soit une raideur capable de se dissoudre avec le temps. Celle-là même qui rend si difficile l'appréciation des vins en primeurs par manque de plaisir. La « désaustérisation » induit une note plaisir plus forte dans la jeunesse du vin et le rend consommable jeune, sans pour autant entamer son potentiel de vieillissement. En effet, nul n'est besoin que le vin soit dur pour bien vieillir. Avec l'avènement de ce nouveau type de matière, arrive aussi un nouveau vocabulaire de la dégustation qui traduit bien ces changements. Par exemple, jamais jusqu'à présent je n'utilisais le mot fondant pour décrire un vin rouge jeune jusqu'à ce que ce vocable s'impose tout seul à mon palais.
Dans ce contexte, quels sont les crus les mieux placés ?
D'abord ceux dont le terroir et les cépages ne tendent pas à durcir les vins, à les austériser, même positivement. Par exemple, à Saint-Emilion, le calcaire austérise plus que l'argile, le sable ou les graves et tend à retarder le moment de la consommation.
Ensuite viennent les crus doués naturellement de douceur dans leur profil gustatif. Ce point est difficile à observer pour des raisons humaines. De nombreux responsables, trop anxieux, tendent à saturer leurs vins de matière, de puissance et donc d'austérité, ne voyant pas dans la douceur le miracle de leur terroir. Il reste que les crus de cette étoffe demeurent les plus difficiles à faire valoir en dégustation, alors qu'ils brillent à table d'une aisance insolente. Un paradoxe ! Une énigme ! Une des clés du plaisir gustatif repose sur la douceur. N'est-il pas bizarre de l'attendre pendant vingt ans de vieillissement si elle peut être de suite présente ?
Château La Marzelle 2012
Revenons au dîner de jeudi prochain au Shangri-la. J'y fais servir du château La Marzelle 2012, Saint-Emilion grand cru et du Seguin 2010, Pessac Léognan. La Marzelle 2012, vu son terroir, vu ses cépages, vu la réalisation, vu le millésime, offre une douceur de chair quasi inconnue jusqu'alors, plus un éclat aromatique nouveau sans usure des arômes, sans surcharge du tannin, de bois ou d'alcool.
En février dernier, je testais plusieurs plats du chef Christophe Moret pour me familiariser avec sa cuisine. L'objectif était de débuter le dîner par un vin jeune pour découvrir cette nouveauté. Au départ, je penchais pour un Dashi, comme une émulsion que j'adorais pour sa texture aérienne. Au premier essai, j'ai fait marche arrière, non pas sur la texture, mais sur la saveur iodée. Si certains s'en accommodent, d'autres n'ont pas oublié oh combien ces notes entachent l'histoire de la qualité et rappellent à l'excès le temps où les raisins étaient marqués par la pourriture grise. Je suis donc reparti vers les fondamentaux régionaux. Qu'est-ce qui marche à Bordeaux dans les associations culinaires entre les vins rouges et les produits locaux ? Avec la proximité de la Dordogne on connaît la truffe et les cèpes, avec la forêt de pins, les Landes, le sous-bois et le canard, avec le merlot, la viande, etc... Voilà le cheminement qui nous conduit à cette Royale de shiitake et cèpes en émulsion truffée. Pour mémoire, le shiitake est un champignon d'origine japonaise, très cultivé en Chine et depuis peu en Bretagne. A l'origine, il poussait sur des bûches de bois d'un arbre proche du chêne. Aujourd'hui, il est plus souvent cultivé sur des bûches artificielles pour des questions de rapidité et de rentabilité. Quant aux cèpes et à la truffe, nul n'est besoin de préciser oh combien ils marquent avec succès l'environnement aromatique des vins de Bordeaux.
A propos de château Seguin 2010
Nous sommes dans les graves rouges sur l'appellation Pessac Léognan, région réputée pour la présence de moelleux dans ses vins. Les archives ne sont pas prolixes sur le terroir de Canéjan. Réduit par l'urbanisation, il se résume aujourd'hui à une cinquantaine d'hectares. Château Seguin, jeune propriété, reconstituée au milieu des années 1990 (premier millésime 1992) n'apparaît que tout récemment dans le paysage. Je ne l'ai vraiment apprécié qu'à partir de son magistral 2007. Or, aujourd'hui, en regoûtant le 2004, je m'aperçois que ce vin à priori léger n'a rien perdu de sa tenue 12 ans après. Autrement dit, il n'était pas léger, alors qu'il en avait les apparences. Mieux encore, ce vin a gagné du parfum. Avec l'expérience, je tends à considérer son accessibilité comme une qualité plutôt qu'une faiblesse. Tous les crus dotés d'une douceur de texture naturelle, château Margaux et Cheval Blanc les premiers, peuvent être mal compris. La confusion vient de la proximité de la douceur avec la sensation de légèreté, laquelle est aussi proche de la fluidité. Souvent, ces vins ne sont pas distingués par la critique. Il leur faut un grand millésime pour que leur style s'impose plus clairement dans les esprits et les palais ou alors du temps. Ce sont ces deux aspects, douceur de fond et richesse de millésime, qui seront harmonisés au cours de ce dîner au Shangri-La.
Dans les premiers temps du test, j'imaginais parfaitement ce vin servi avec le foie gras. Lors de l'essai, avec Seguin 2010 et à côté le Riesling Furstentum vieilles vignes 1997 de chez Paul Blanck, c'est plutôt ce dernier qui a magnifié l'instant de l'association, portant haut l'émotion. C'est ainsi que j'ai proposé que Seguin 2010 soit servi sur le bar rôti que j'ai trouvé succulent. Pour encadrer sa jeunesse, le chef Christophe Moret a pensé à des épinards à peine crémés, assortis d'un miroir de vin rouge, d'un suc de persil, d'une julienne de champignons de Paris et d'une brunoise d'anguilles fumées. La sauce sera matelote d'inspiration Arcachonnaise, comme revisitée en quelque sorte.
Décanterai-je le vin ? Je jugerai sur pièce, presque au dernier moment, à quelques heures des festivités.
Issan 2005 en magnum : de la douceur et du parfum
Vous ne le savez pas encore. Je viens de faire une dégustation comparative sur plusieurs millésimes de Palmer, Rauzan Segla, Brane Cantenac et d'Issan. Dans l'ensemble, d'Issan fut le vin le plus apprécié de la soirée, le plus surprenant, raison de sa présence à ce dîner. Alors que de nombreux 2005 dans le Médoc présentent encore une touche tannique d'austérité finale, d'Issan échappe à ce sort. Suite à deux essais, je le préfère même en magnum qu'en bouteille. La poitrine de canard qui l'accompagne m'a par deux fois émerveillé à six mois d'intervalle. J'ai proposé de retirer les petits navets, certes décoratifs sur l'assiette, mais prompts à introduire des notes vertes. Alors que la betterave, un peu plus douce, convient très bien. Tout fond en bouche au point qu'on ne s'arrêterait pas d'y revenir !
Vacherin contemporain aux saveurs de mangue et de passion – château Nairac 2008
Je considère le dessert comme cet instant de transition où s'achève un dîner avant de penser à un autre. Une étape plus subtile qu'il n'y paraît où je vise le plaisir des sens, la satisfaction de la bouche et crains la saturation. Un grand dîner s'achève avec des fruits. Voilà qui repose, éclaircit et rafraîchit. A cet instant, du vin, j'en sers rarement.
Au restaurant l'Abeille, il existe un dessert signature délicieux, à base de miel qui illustre le nom du restaurant à merveille. Mais pour Nairac, je sais que la mangue et le fruit de la passion magnifient le vin. Le chef Christophe Moret et le chef pâtissier Michaël Bartocelli ont accepté de se pencher sur ma connaissance intime de ce vin. Ils présenteront jeudi le dessert le plus abouti que j'ai jamais goûté sur un grand vin liquoreux de Sauternes et Barsac et Nairac en particulier. Voici ce qui le compose. Meringue, poudre vanille torréfiée et chantilly vanille. Brunoise de mangue liée avec une marmelade de vinaigre, de cidre et coriandre. Sorbet citron vert vanille, sorbet mangue. Le tout sur un jus tiède de fruits de la passion infusé avec de la citronnelle. Sur cette sophistication de saveurs digne d'une complication horlogère des plus rares, j'ai préféré la tension du Nairac 2008 plutôt que l'ambiance nonchalante, à la texture cotonneuse du 2002 !
Voilà, vous savez tout.
Nous serons 90 personnes à partager ces instants jeudi soir dans le magnifique salon Bonaparte.
Il reste encore quelques places. Ecrivez-moi.
Dans ce contexte, quels sont les crus les mieux placés ?
D'abord ceux dont le terroir et les cépages ne tendent pas à durcir les vins, à les austériser, même positivement. Par exemple, à Saint-Emilion, le calcaire austérise plus que l'argile, le sable ou les graves et tend à retarder le moment de la consommation.
Ensuite viennent les crus doués naturellement de douceur dans leur profil gustatif. Ce point est difficile à observer pour des raisons humaines. De nombreux responsables, trop anxieux, tendent à saturer leurs vins de matière, de puissance et donc d'austérité, ne voyant pas dans la douceur le miracle de leur terroir. Il reste que les crus de cette étoffe demeurent les plus difficiles à faire valoir en dégustation, alors qu'ils brillent à table d'une aisance insolente. Un paradoxe ! Une énigme ! Une des clés du plaisir gustatif repose sur la douceur. N'est-il pas bizarre de l'attendre pendant vingt ans de vieillissement si elle peut être de suite présente ?
Château La Marzelle 2012
Revenons au dîner de jeudi prochain au Shangri-la. J'y fais servir du château La Marzelle 2012, Saint-Emilion grand cru et du Seguin 2010, Pessac Léognan. La Marzelle 2012, vu son terroir, vu ses cépages, vu la réalisation, vu le millésime, offre une douceur de chair quasi inconnue jusqu'alors, plus un éclat aromatique nouveau sans usure des arômes, sans surcharge du tannin, de bois ou d'alcool.
En février dernier, je testais plusieurs plats du chef Christophe Moret pour me familiariser avec sa cuisine. L'objectif était de débuter le dîner par un vin jeune pour découvrir cette nouveauté. Au départ, je penchais pour un Dashi, comme une émulsion que j'adorais pour sa texture aérienne. Au premier essai, j'ai fait marche arrière, non pas sur la texture, mais sur la saveur iodée. Si certains s'en accommodent, d'autres n'ont pas oublié oh combien ces notes entachent l'histoire de la qualité et rappellent à l'excès le temps où les raisins étaient marqués par la pourriture grise. Je suis donc reparti vers les fondamentaux régionaux. Qu'est-ce qui marche à Bordeaux dans les associations culinaires entre les vins rouges et les produits locaux ? Avec la proximité de la Dordogne on connaît la truffe et les cèpes, avec la forêt de pins, les Landes, le sous-bois et le canard, avec le merlot, la viande, etc... Voilà le cheminement qui nous conduit à cette Royale de shiitake et cèpes en émulsion truffée. Pour mémoire, le shiitake est un champignon d'origine japonaise, très cultivé en Chine et depuis peu en Bretagne. A l'origine, il poussait sur des bûches de bois d'un arbre proche du chêne. Aujourd'hui, il est plus souvent cultivé sur des bûches artificielles pour des questions de rapidité et de rentabilité. Quant aux cèpes et à la truffe, nul n'est besoin de préciser oh combien ils marquent avec succès l'environnement aromatique des vins de Bordeaux.
A propos de château Seguin 2010
Nous sommes dans les graves rouges sur l'appellation Pessac Léognan, région réputée pour la présence de moelleux dans ses vins. Les archives ne sont pas prolixes sur le terroir de Canéjan. Réduit par l'urbanisation, il se résume aujourd'hui à une cinquantaine d'hectares. Château Seguin, jeune propriété, reconstituée au milieu des années 1990 (premier millésime 1992) n'apparaît que tout récemment dans le paysage. Je ne l'ai vraiment apprécié qu'à partir de son magistral 2007. Or, aujourd'hui, en regoûtant le 2004, je m'aperçois que ce vin à priori léger n'a rien perdu de sa tenue 12 ans après. Autrement dit, il n'était pas léger, alors qu'il en avait les apparences. Mieux encore, ce vin a gagné du parfum. Avec l'expérience, je tends à considérer son accessibilité comme une qualité plutôt qu'une faiblesse. Tous les crus dotés d'une douceur de texture naturelle, château Margaux et Cheval Blanc les premiers, peuvent être mal compris. La confusion vient de la proximité de la douceur avec la sensation de légèreté, laquelle est aussi proche de la fluidité. Souvent, ces vins ne sont pas distingués par la critique. Il leur faut un grand millésime pour que leur style s'impose plus clairement dans les esprits et les palais ou alors du temps. Ce sont ces deux aspects, douceur de fond et richesse de millésime, qui seront harmonisés au cours de ce dîner au Shangri-La.
Dans les premiers temps du test, j'imaginais parfaitement ce vin servi avec le foie gras. Lors de l'essai, avec Seguin 2010 et à côté le Riesling Furstentum vieilles vignes 1997 de chez Paul Blanck, c'est plutôt ce dernier qui a magnifié l'instant de l'association, portant haut l'émotion. C'est ainsi que j'ai proposé que Seguin 2010 soit servi sur le bar rôti que j'ai trouvé succulent. Pour encadrer sa jeunesse, le chef Christophe Moret a pensé à des épinards à peine crémés, assortis d'un miroir de vin rouge, d'un suc de persil, d'une julienne de champignons de Paris et d'une brunoise d'anguilles fumées. La sauce sera matelote d'inspiration Arcachonnaise, comme revisitée en quelque sorte.
Décanterai-je le vin ? Je jugerai sur pièce, presque au dernier moment, à quelques heures des festivités.
Issan 2005 en magnum : de la douceur et du parfum
Vous ne le savez pas encore. Je viens de faire une dégustation comparative sur plusieurs millésimes de Palmer, Rauzan Segla, Brane Cantenac et d'Issan. Dans l'ensemble, d'Issan fut le vin le plus apprécié de la soirée, le plus surprenant, raison de sa présence à ce dîner. Alors que de nombreux 2005 dans le Médoc présentent encore une touche tannique d'austérité finale, d'Issan échappe à ce sort. Suite à deux essais, je le préfère même en magnum qu'en bouteille. La poitrine de canard qui l'accompagne m'a par deux fois émerveillé à six mois d'intervalle. J'ai proposé de retirer les petits navets, certes décoratifs sur l'assiette, mais prompts à introduire des notes vertes. Alors que la betterave, un peu plus douce, convient très bien. Tout fond en bouche au point qu'on ne s'arrêterait pas d'y revenir !
Vacherin contemporain aux saveurs de mangue et de passion – château Nairac 2008
Je considère le dessert comme cet instant de transition où s'achève un dîner avant de penser à un autre. Une étape plus subtile qu'il n'y paraît où je vise le plaisir des sens, la satisfaction de la bouche et crains la saturation. Un grand dîner s'achève avec des fruits. Voilà qui repose, éclaircit et rafraîchit. A cet instant, du vin, j'en sers rarement.
Au restaurant l'Abeille, il existe un dessert signature délicieux, à base de miel qui illustre le nom du restaurant à merveille. Mais pour Nairac, je sais que la mangue et le fruit de la passion magnifient le vin. Le chef Christophe Moret et le chef pâtissier Michaël Bartocelli ont accepté de se pencher sur ma connaissance intime de ce vin. Ils présenteront jeudi le dessert le plus abouti que j'ai jamais goûté sur un grand vin liquoreux de Sauternes et Barsac et Nairac en particulier. Voici ce qui le compose. Meringue, poudre vanille torréfiée et chantilly vanille. Brunoise de mangue liée avec une marmelade de vinaigre, de cidre et coriandre. Sorbet citron vert vanille, sorbet mangue. Le tout sur un jus tiède de fruits de la passion infusé avec de la citronnelle. Sur cette sophistication de saveurs digne d'une complication horlogère des plus rares, j'ai préféré la tension du Nairac 2008 plutôt que l'ambiance nonchalante, à la texture cotonneuse du 2002 !
Voilà, vous savez tout.
Nous serons 90 personnes à partager ces instants jeudi soir dans le magnifique salon Bonaparte.
Il reste encore quelques places. Ecrivez-moi.
Jean-Marc Quarin
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Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin Sarl, 10 allée de Ginouilhac, Le Taillan-Médoc. France. - E-mail: jmquarin@quarin.com
Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notations à condition de ne pas les déformer et en citant l'origine de leur source : www.quarin.com ainsi que son auteur : Jean-Marc Quarin (JMQ).