03/09/2023
Chronique 339
Alexandre de Lur Saluces et la parole juste
Bordeaux 2023 : honte au catastrophisme des médias sur le mildiou - Les étapes du développement du mildiou en 2023 - La dégustation des raisins rouges de 2023 - Les zones d'ombre du millésime avant vendanges de rouge - Septembre fera ou défera le millésime
Chronique 339 (3 septembre 2023)
Alexandre de Lur Saluces et la parole juste
A l'âge de 89 ans, le marquis Alexandre de Lur Saluces nous a quitté fin juillet, à la veille de sa cinquantième vendange. Sans lui, les châteaux de Fargues et d'Yquem ne détiendraient pas les places les plus estimables parmi ces vins intemporels : les premières.
Nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois et écrits tout autant. Des e-mails ou des appels pour moi suivis de réponses sur des cartes écrites à l'encre noir ou bleu assorties de mots forts, nuancés et parfois touchants.
Par curiosité, par culture ou par affection, je vous recommande la lecture de ces livres récents : « château de Fargues ou la folle ambition des Lur Saluces à Sauternes » chez Glénat – « Joséphine d'Yquem à l'origine d'un vin de légende » chez Flamarion. J'y ai découvert la justesse sidérante qui lie les mots et les actes dans la conduite de la vie de cette famille. Une tenue, une probité, une fidélité, un art entier sur la manière d'affronter les aléas de l'existence. Et Dieu sait que la production de grands vins liquoreux exige une excellence disciplinée. « Un entêtement de civilisation » disait-il, élevant par ses mots sa propre production au rang d'oeuvre.
Rencontrer Alexandre de Lur Saluces était impressionnant. Même s'il vous y avait invité, avec une parfaite cordialité. Le faire dans les murs de Fargues, forteresse médiévale dénudée de son toit depuis plus de 400 ans, l'était plus encore. A coup sûr, il visait l'inaccessible. Qui ne serait pas pris par l'émotion en levant les yeux le long de ces murs de pierres anciennes grimpants vers le ciel bleu azur pour rejoindre en haut la douce lumière sauternaise ? Dans le goût même de Fargues figure bien souvent ce jeu d'équilibre entre volupté et austérité.
Dans les années 1995, notre première rencontre fut pour moi inoubliable.
J'étais invité à déjeuner au château d'Yquem. Je partageais cet honneur et ce plaisir avec un autre invité, de grande marque celui-là. Il dirigeait l'oenologie bordelaise. Côtoyer ces deux hommes ensemble, c'était comme si l'intemporalité se frottait aux menues circonstances du présent. La culture, la profondeur, la noblesse versus la toute nouvelle science fière de sa sûreté, fragile de son arrogance. Je m'en souviendrai toujours. Nous avons goûté et parlé des Yquem 1968 et 1959. Des conditions climatiques de tous les millésimes de la région, je savais tout sans en dire un mot. En sentant le verre de 1968, l'homme de science parla : « quel magnifique botrytis ! »
Oh, là, là, quelle erreur, j'en rougissais presque de honte pour lui. Je me risquais à un étonnement désapprouvant. Le millésime 1968 est connu à Sauternes Barsac pour être un des plus pluvieux jamais vus. La redoutée pourriture grise y a sévi plus que la noble. C'est alors qu'Alexandre de Lur Saluces choisit la justesse plutôt que la flatterie ou le politiquement correct. Devant le jeune critique, sérieux et imperturbable, au nom d'Yquem le majestueux il contredit l'infortuné flatteur et maître en oenologie d'un « il n'y a pas eu de pourriture noble en 1968 » !
De sa belle attitude et pour toujours, je lui reste profondément reconnaissant.
Bordeaux 2023 : honte au catastrophisme des médias sur le mildiou
Le plus difficile dans les comptes rendus sur le monde du vin, la viticulture, l'oenologie ou l'appréciation du goût lui-même, c'est de tempérer les propos tenus par les professionnels du secteur. De façon constante et sans que je sache pourquoi, ils se focalisent vite et fort sur des points ne relevant pas de l'essentiel pour la consommation finale du vin. En bref, ils font d'une « merde » une cathédrale ou de la rose, ils ne voient que les épines. Les médias qui les écoutent sans expertise pour remettre la force de ces perceptions sincèrement ressenties en perspective participent à leur renforcement. Ce qui devient insensé, caricatural et finalement contraire à ce que l'on attend de l'information, à savoir un éclairage multidimensionnel. De mon point de vue, c'est ce qui a failli dans les médias français et même étrangers à propos de Bordeaux et du mildiou cette année.
Ceux qui l'ont combattu avec succès ont été tout simplement négligés, oubliés. Ce sont les familles, les dirigeants, les employés qui ont fait des efforts considérables. A chaque ligne ou Unes parues cet été, nul doute qu'ils ont ressenti leur image et leur investissement écornés. Tout ceci en silence, tandis que d'autres communiquaient pour obtenir des subventions. Or, ce sont eux les modèles !
Je ne suis pas un spécialiste du mildiou. Je suis un spécialiste du goût du vin. A ce titre et puisque ce dernier est réputé se faire à la vigne, dans les vignes je suis. Ce que je vois dans les crus qui font la réputation de cette région est éloquent : une récolte pléthorique comme jamais depuis 2004 ! Alors où est passé ce mildiou qui aurait tout détruit cette année ?
Oui son attaque est sévère cette année. C'est important et très contraignant pour les hommes de l'art. Cependant, son expansion n'est-elle pas d'abord une question de défaillance de la prophylaxie ? Rien de nouveau sous le soleil. Pas de grand vin sans volonté humaine. Ceux qui l'ont perdu ou ne l'ont jamais eu l'apprendront de plus en plus à leurs dépens,....
Bordeaux 2023 : honte au catastrophisme des médias sur le mildiou - Les étapes du développement du mildiou en 2023 - La dégustation des raisins rouges de 2023 - Les zones d'ombre du millésime avant vendanges de rouge - Septembre fera ou défera le millésime
Chronique 339 (3 septembre 2023)
Alexandre de Lur Saluces et la parole juste
A l'âge de 89 ans, le marquis Alexandre de Lur Saluces nous a quitté fin juillet, à la veille de sa cinquantième vendange. Sans lui, les châteaux de Fargues et d'Yquem ne détiendraient pas les places les plus estimables parmi ces vins intemporels : les premières.
Nous nous sommes rencontrés deux ou trois fois et écrits tout autant. Des e-mails ou des appels pour moi suivis de réponses sur des cartes écrites à l'encre noir ou bleu assorties de mots forts, nuancés et parfois touchants.
Par curiosité, par culture ou par affection, je vous recommande la lecture de ces livres récents : « château de Fargues ou la folle ambition des Lur Saluces à Sauternes » chez Glénat – « Joséphine d'Yquem à l'origine d'un vin de légende » chez Flamarion. J'y ai découvert la justesse sidérante qui lie les mots et les actes dans la conduite de la vie de cette famille. Une tenue, une probité, une fidélité, un art entier sur la manière d'affronter les aléas de l'existence. Et Dieu sait que la production de grands vins liquoreux exige une excellence disciplinée. « Un entêtement de civilisation » disait-il, élevant par ses mots sa propre production au rang d'oeuvre.
Rencontrer Alexandre de Lur Saluces était impressionnant. Même s'il vous y avait invité, avec une parfaite cordialité. Le faire dans les murs de Fargues, forteresse médiévale dénudée de son toit depuis plus de 400 ans, l'était plus encore. A coup sûr, il visait l'inaccessible. Qui ne serait pas pris par l'émotion en levant les yeux le long de ces murs de pierres anciennes grimpants vers le ciel bleu azur pour rejoindre en haut la douce lumière sauternaise ? Dans le goût même de Fargues figure bien souvent ce jeu d'équilibre entre volupté et austérité.
Dans les années 1995, notre première rencontre fut pour moi inoubliable.
J'étais invité à déjeuner au château d'Yquem. Je partageais cet honneur et ce plaisir avec un autre invité, de grande marque celui-là. Il dirigeait l'oenologie bordelaise. Côtoyer ces deux hommes ensemble, c'était comme si l'intemporalité se frottait aux menues circonstances du présent. La culture, la profondeur, la noblesse versus la toute nouvelle science fière de sa sûreté, fragile de son arrogance. Je m'en souviendrai toujours. Nous avons goûté et parlé des Yquem 1968 et 1959. Des conditions climatiques de tous les millésimes de la région, je savais tout sans en dire un mot. En sentant le verre de 1968, l'homme de science parla : « quel magnifique botrytis ! »
Oh, là, là, quelle erreur, j'en rougissais presque de honte pour lui. Je me risquais à un étonnement désapprouvant. Le millésime 1968 est connu à Sauternes Barsac pour être un des plus pluvieux jamais vus. La redoutée pourriture grise y a sévi plus que la noble. C'est alors qu'Alexandre de Lur Saluces choisit la justesse plutôt que la flatterie ou le politiquement correct. Devant le jeune critique, sérieux et imperturbable, au nom d'Yquem le majestueux il contredit l'infortuné flatteur et maître en oenologie d'un « il n'y a pas eu de pourriture noble en 1968 » !
De sa belle attitude et pour toujours, je lui reste profondément reconnaissant.
Bordeaux 2023 : honte au catastrophisme des médias sur le mildiou
Le plus difficile dans les comptes rendus sur le monde du vin, la viticulture, l'oenologie ou l'appréciation du goût lui-même, c'est de tempérer les propos tenus par les professionnels du secteur. De façon constante et sans que je sache pourquoi, ils se focalisent vite et fort sur des points ne relevant pas de l'essentiel pour la consommation finale du vin. En bref, ils font d'une « merde » une cathédrale ou de la rose, ils ne voient que les épines. Les médias qui les écoutent sans expertise pour remettre la force de ces perceptions sincèrement ressenties en perspective participent à leur renforcement. Ce qui devient insensé, caricatural et finalement contraire à ce que l'on attend de l'information, à savoir un éclairage multidimensionnel. De mon point de vue, c'est ce qui a failli dans les médias français et même étrangers à propos de Bordeaux et du mildiou cette année.
Ceux qui l'ont combattu avec succès ont été tout simplement négligés, oubliés. Ce sont les familles, les dirigeants, les employés qui ont fait des efforts considérables. A chaque ligne ou Unes parues cet été, nul doute qu'ils ont ressenti leur image et leur investissement écornés. Tout ceci en silence, tandis que d'autres communiquaient pour obtenir des subventions. Or, ce sont eux les modèles !
Je ne suis pas un spécialiste du mildiou. Je suis un spécialiste du goût du vin. A ce titre et puisque ce dernier est réputé se faire à la vigne, dans les vignes je suis. Ce que je vois dans les crus qui font la réputation de cette région est éloquent : une récolte pléthorique comme jamais depuis 2004 ! Alors où est passé ce mildiou qui aurait tout détruit cette année ?
Oui son attaque est sévère cette année. C'est important et très contraignant pour les hommes de l'art. Cependant, son expansion n'est-elle pas d'abord une question de défaillance de la prophylaxie ? Rien de nouveau sous le soleil. Pas de grand vin sans volonté humaine. Ceux qui l'ont perdu ou ne l'ont jamais eu l'apprendront de plus en plus à leurs dépens,....