31/03/2025
Bordeaux Primeurs 2024 : premiers résultats, chronique 371
Bordeaux Primeurs 2024 : premiers résultats
Bordeaux, le 31 mars 2025
Je sors de Haut Brion. Quand tout est trouble autour de nous « la vraie nouveauté est de revenir aux sources ». Edgar Morin
A Haut Brion, je goûte le grand millésime 2022 en bouteilles et le 2024 en cours d'élevage. Et là, je bute sur un mystère. A savoir l'écart entre le supposé d'un millésime et son réel présent dans le verre. C'était pareil en 2022. Personne ne comprenait pourquoi avec autant de manque d'eau les vins pouvaient être aussi bons. Ce questionnement ressurgit avec le 2024 dans un paradigme inversé : pourquoi avec tant d'eau pendant les vendanges (180 mm), ce millésime peut-il être aussi bon ?
Le supposé du millésime rouge 2024 est constitué d'une guerre viticole autour de craintes et d'obstacles, tels que le gel, la grêle, la coulure et le mildiou. Chacun a largement témoigné de ses malheurs sur les réseaux sociaux, dans les journaux, innocents sur la portée des informations qu'ils adressaient très tôt à un public incapable de les mettre en perspective. Je viens d'apprendre que dès décembre 2024, un important groupe hôtelier étranger décidait de ne pas budgétiser d'achats Primeurs pour le printemps 2025.
Retour en arrière. Pendant les vendanges, je me suis surpris à juger la dégustation des raisins plus positivement que certains professionnels l'estimaient. Étaient-ils trop stressés, la tête dans le guidon, dans leur lutte contre un cycle végétatif épuisant ? C'est bien connu, la cuisinière confrontée aux exigences de ses préparations culinaires craint pour ses résultats. Pourtant, une fois attablé, chacun s'émerveille. Le monde du vin semble fait de cette matière : une incommunication quasi consubstantielle entre producteurs et consommateurs au sujet de la représentation de la qualité et du plaisir de goûter et de boire. C'est pire encore si un intermédiaire se glisse entre eux !
Les premières bonnes nouvelles apparaissent dans le courant de l'hiver. D'où venait le moelleux délicat ressenti dans ce nouveau millésime. J'ai d'abord pensé à la dilution. En questionnant sur le pH et en découvrant qu'il était bas, j'ai conclu que ça ne pouvait pas être ça. Un pH haut flatte et adoucit tout en fragilisant, un pH bas énergétise ou durcit tout en solidifiant le vieillissement. Trouver du moelleux dans ces circonstances était une valeur positive.
Seconde découverte : les lots séparés de château Margaux. J'ai cette chance très bien documentée depuis 1996. Les lots séparés de 2024 montraient des degrés d'alcool bas, les plus faibles depuis longtemps. « Bas » ne signifie pas « défaillant », puisque le niveau chaptalisé ou pas se situe actuellement entre 12 et 13°. Il est fréquent de penser qu'un degré d'alcool très élevé est vecteur de puissance. Or, des crus, comme Gruaud Larose, Mouton Rothschild, Lafite Rothschild, dépassent rarement 13. Manquent-ils de puissance ? Bien sûr que non. En 2024, le meilleur lot de Château Margaux, noté 18/20, provient de la parcelle « Puy Sempère ». Paradoxalement, il présente le degré d'alcool le plus bas de la série, soit 12,2°. Je décris ce vin comme suave au nez et brillant en bouche.
Les valeurs du bon
Ce qui fascine dans les Bordeaux rouges 2022, c'est que la puissance est pardonnée par la présence forte du goût et de l'éclat aromatique. Ces derniers forcent l'envie d'avaler.
Ce qui interpelle dans le millésime 2024 c'est que l'absence de puissance tannique est pardonnée par la présence forte du goût. Elle donne tout autant l'envie d'avaler, voire plus, puisque la structure tannique moindre présente l'avantage d'un fondu immédiat.
Certains d'entre vous connaissent mes interrogations pour essayer de théoriser ces informations positives. Je pense et soutiens par expérience que l'immatérialité de l'arôme contribue à donner du corps au vin. Je m'en suis ouvert à un chercheur de l'ISVV de Bordeaux. Il partage ce point de vue tout en soulignant l'impossibilité de la science à le prouver. Retenez donc que l'arôme peut être vecteur de puissance et que le millésime 2024 se distingue par sa richesse aromatique.
Je viens d'achever une dégustation de 100 vins, toutes régions confondues. Les résultats sont très hétérogènes selon les interactions entre les choix humains, le climat, les terroirs, les cépages et l'économie.
Cependant il est des choses dont on ne soupçonnait pas les conséquences. Sans crier gare, il arrive que des crus brillent comme jamais auparavant. Je pense à Rémy Fauchey et à sa fille, propriétaires dans le Médoc. Ils viennent de produire le Fontaine de l'Aubier que je préfère (15 euros). Sur la contre-étiquette, écrit à la main, je lis : « quand on se lance dans le bio, il faut accepter moins de quantité ; il faut accepter que la nature soit toujours plus forte. C'est pour cela que le 2024 n'aura pas de merlot. Assemblage : 70 % de cabernet sauvignon, 30 % petit verdot. Degré d'alcool 12°. Rendement : 25 hl/ha. » Tout est dit dans ces quelques mots. Entendez que le mildiou a carencé ou fait disparaître le merlot des assemblages, rendant au cabernet sauvignon toutes ses lettres de noblesse, à savoir : une maturité correcte avec un degré d'alcool très modéré. Un ensemble qui se révèle être le plus difficile à obtenir dans la viticulture de qualité.
Si vous vous inquiétez de la rive droite, sachez qu'après les vinifications, Pierre Olivier Clouet à Cheval Blanc m'indiquait que, contrairement au supposé du millésime, le cabernet franc se révélait plus intéressant que le merlot. De plus et assez souvent, les rendements plus élevés du cabernet franc infèrent un pourcentage supérieur de ce cépage dans les assemblages.
Les meilleurs 2024 sont très colorés et très aromatiques au nez comme en bouche, sans verdeur, avec des structures plus élancées que rondes ou larges. Ces dernières ne marquent jamais le tannin en finale. Et Jean Philippe Masclef, directeur technique de Haut Brion de conclure : « 20 ans en arrière, nous n'aurions pas pu obtenir un tel résultat. Si nous n'avons pas relevé d'activité laccase dans les moûts malgré la pourriture menaçante, c'est parce que nous n'avons jamais autant investi dans le tri ». J'ajoute que les vinificateurs bordelais n'ont jamais été autant préparés, mentalement et techniquement pour élever un tel millésime avec les nuances nécessaires : préservation des saveurs, adaptation du boisé, choix de grands contenants pour conserver le gras, la chair, les arômes. Je m'attends à des élevages plus courts. Le mot charme définit les vins réussis du millésime.
A suivre.
Jean Marc Quarin
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©Copyright
Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin SAS, 10 allée de Ginouilhac, Le Taillan-Médoc. France. Contact : www.quarin.com
Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notations à condition de ne pas les déformer et en citant à la fois son auteur : Jean-Marc Quarin et l'origine de leur source : quarin.com
Bordeaux, le 31 mars 2025
Je sors de Haut Brion. Quand tout est trouble autour de nous « la vraie nouveauté est de revenir aux sources ». Edgar Morin
A Haut Brion, je goûte le grand millésime 2022 en bouteilles et le 2024 en cours d'élevage. Et là, je bute sur un mystère. A savoir l'écart entre le supposé d'un millésime et son réel présent dans le verre. C'était pareil en 2022. Personne ne comprenait pourquoi avec autant de manque d'eau les vins pouvaient être aussi bons. Ce questionnement ressurgit avec le 2024 dans un paradigme inversé : pourquoi avec tant d'eau pendant les vendanges (180 mm), ce millésime peut-il être aussi bon ?
Le supposé du millésime rouge 2024 est constitué d'une guerre viticole autour de craintes et d'obstacles, tels que le gel, la grêle, la coulure et le mildiou. Chacun a largement témoigné de ses malheurs sur les réseaux sociaux, dans les journaux, innocents sur la portée des informations qu'ils adressaient très tôt à un public incapable de les mettre en perspective. Je viens d'apprendre que dès décembre 2024, un important groupe hôtelier étranger décidait de ne pas budgétiser d'achats Primeurs pour le printemps 2025.
Retour en arrière. Pendant les vendanges, je me suis surpris à juger la dégustation des raisins plus positivement que certains professionnels l'estimaient. Étaient-ils trop stressés, la tête dans le guidon, dans leur lutte contre un cycle végétatif épuisant ? C'est bien connu, la cuisinière confrontée aux exigences de ses préparations culinaires craint pour ses résultats. Pourtant, une fois attablé, chacun s'émerveille. Le monde du vin semble fait de cette matière : une incommunication quasi consubstantielle entre producteurs et consommateurs au sujet de la représentation de la qualité et du plaisir de goûter et de boire. C'est pire encore si un intermédiaire se glisse entre eux !
Les premières bonnes nouvelles apparaissent dans le courant de l'hiver. D'où venait le moelleux délicat ressenti dans ce nouveau millésime. J'ai d'abord pensé à la dilution. En questionnant sur le pH et en découvrant qu'il était bas, j'ai conclu que ça ne pouvait pas être ça. Un pH haut flatte et adoucit tout en fragilisant, un pH bas énergétise ou durcit tout en solidifiant le vieillissement. Trouver du moelleux dans ces circonstances était une valeur positive.
Seconde découverte : les lots séparés de château Margaux. J'ai cette chance très bien documentée depuis 1996. Les lots séparés de 2024 montraient des degrés d'alcool bas, les plus faibles depuis longtemps. « Bas » ne signifie pas « défaillant », puisque le niveau chaptalisé ou pas se situe actuellement entre 12 et 13°. Il est fréquent de penser qu'un degré d'alcool très élevé est vecteur de puissance. Or, des crus, comme Gruaud Larose, Mouton Rothschild, Lafite Rothschild, dépassent rarement 13. Manquent-ils de puissance ? Bien sûr que non. En 2024, le meilleur lot de Château Margaux, noté 18/20, provient de la parcelle « Puy Sempère ». Paradoxalement, il présente le degré d'alcool le plus bas de la série, soit 12,2°. Je décris ce vin comme suave au nez et brillant en bouche.
Les valeurs du bon
Ce qui fascine dans les Bordeaux rouges 2022, c'est que la puissance est pardonnée par la présence forte du goût et de l'éclat aromatique. Ces derniers forcent l'envie d'avaler.
Ce qui interpelle dans le millésime 2024 c'est que l'absence de puissance tannique est pardonnée par la présence forte du goût. Elle donne tout autant l'envie d'avaler, voire plus, puisque la structure tannique moindre présente l'avantage d'un fondu immédiat.
Certains d'entre vous connaissent mes interrogations pour essayer de théoriser ces informations positives. Je pense et soutiens par expérience que l'immatérialité de l'arôme contribue à donner du corps au vin. Je m'en suis ouvert à un chercheur de l'ISVV de Bordeaux. Il partage ce point de vue tout en soulignant l'impossibilité de la science à le prouver. Retenez donc que l'arôme peut être vecteur de puissance et que le millésime 2024 se distingue par sa richesse aromatique.
Je viens d'achever une dégustation de 100 vins, toutes régions confondues. Les résultats sont très hétérogènes selon les interactions entre les choix humains, le climat, les terroirs, les cépages et l'économie.
Cependant il est des choses dont on ne soupçonnait pas les conséquences. Sans crier gare, il arrive que des crus brillent comme jamais auparavant. Je pense à Rémy Fauchey et à sa fille, propriétaires dans le Médoc. Ils viennent de produire le Fontaine de l'Aubier que je préfère (15 euros). Sur la contre-étiquette, écrit à la main, je lis : « quand on se lance dans le bio, il faut accepter moins de quantité ; il faut accepter que la nature soit toujours plus forte. C'est pour cela que le 2024 n'aura pas de merlot. Assemblage : 70 % de cabernet sauvignon, 30 % petit verdot. Degré d'alcool 12°. Rendement : 25 hl/ha. » Tout est dit dans ces quelques mots. Entendez que le mildiou a carencé ou fait disparaître le merlot des assemblages, rendant au cabernet sauvignon toutes ses lettres de noblesse, à savoir : une maturité correcte avec un degré d'alcool très modéré. Un ensemble qui se révèle être le plus difficile à obtenir dans la viticulture de qualité.
Si vous vous inquiétez de la rive droite, sachez qu'après les vinifications, Pierre Olivier Clouet à Cheval Blanc m'indiquait que, contrairement au supposé du millésime, le cabernet franc se révélait plus intéressant que le merlot. De plus et assez souvent, les rendements plus élevés du cabernet franc infèrent un pourcentage supérieur de ce cépage dans les assemblages.
Les meilleurs 2024 sont très colorés et très aromatiques au nez comme en bouche, sans verdeur, avec des structures plus élancées que rondes ou larges. Ces dernières ne marquent jamais le tannin en finale. Et Jean Philippe Masclef, directeur technique de Haut Brion de conclure : « 20 ans en arrière, nous n'aurions pas pu obtenir un tel résultat. Si nous n'avons pas relevé d'activité laccase dans les moûts malgré la pourriture menaçante, c'est parce que nous n'avons jamais autant investi dans le tri ». J'ajoute que les vinificateurs bordelais n'ont jamais été autant préparés, mentalement et techniquement pour élever un tel millésime avec les nuances nécessaires : préservation des saveurs, adaptation du boisé, choix de grands contenants pour conserver le gras, la chair, les arômes. Je m'attends à des élevages plus courts. Le mot charme définit les vins réussis du millésime.
A suivre.
Jean Marc Quarin
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©Copyright
Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin SAS, 10 allée de Ginouilhac, Le Taillan-Médoc. France. Contact : www.quarin.com
Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notations à condition de ne pas les déformer et en citant à la fois son auteur : Jean-Marc Quarin et l'origine de leur source : quarin.com